Organiser les choix sans les imposer. Telle est l'essence de la méthode "nudge" popularisée par l'économiste Richard Thaler et Cass Sunstein. Elle pourrait bien intéresser les entreprises et les administrations publiques qui cherchent à stimuler la créativité de leurs salariés et à décloisonner leurs organisations.
Confidentielle en France, cette méthode est largement répandue aux Etats-Unis, notamment par les "Green nudges" qui ont pour objectif d'amener les individus à consommer de manière plus écologique. Deux initiatives intéressantes illustrent la méthode. Le distributeur d'énergie Opewer a mis en avant sur les factures de ses clients d'une part la consommation énergétique du client qui dépense le moins et d'autre part la consommation moyenne d'une famille. Ce nudge a entrainé une baisse en moyenne de 2% les dépenses énergétiques des consommateurs particuliers. Dans le même esprit, une expérience a été menée par Robert Cialdini dans plusieurs hôtels aux Etats-Unis sur la réutilisation des serviettes de bain . Après avoir été informés que les trois quarts des personnes réutilisent leur serviette au moins une fois, 44% des clients ne demandent plus leur remplacement. Parmi ceux n'ayant pas été informé, ils ne sont que 35% à conserver leur serviette. Dans ces deux exemples, le nudge à entraîné un changement de comportement par une prise de conscience individuelle par rapport au comportement de la majorité.
Pourquoi la méthode nudge est-elle si efficace? Tout simplement parce qu'elle n'oblige à rien et elle laisse l'individu libre de sa décision. Elle oriente plutôt qu'elle n'oblige. Elle fait appel à un puissant moteur du changement : la volonté individuelle.
Appliquer à la transformation numérique des organisations, la méthode nudge pourrait s'avérer très efficace. On sait que le basculement d'un travail segmenté vers des pratiques collaboratives est un des facteurs de réussite de cette transformation. Espérées par les directions générales et invoquées par les cabinets de conseil comme un levier de performance, ces pratiques sont souvent décrétées et imposées par le haut aux collaborateurs. Or cette décision descendante et incantatoire est vouée à l'échec. Sur ce point, le chercheur Michael Schrage a observé que la plupart des entreprises ne disposent pas de structures permettant aux individus de mettre leurs talents et leur travail en commun. Il constate par ailleurs que les organisations ne possèdent pas d'espace propre pour chaque niveau d’interaction rendant difficile les collaborations. Par exemple, les collaborations (à ne pas confondre avec les échanges ! ) sont aujourd'hui limitées par une surutilisation du mail dans tous les domaines du monde professionnel. Celui-ci sert tout aussi bien à établir un devis, qu'à organiser une réunion à 10 personnes, échanger des idées ou travailler à plusieurs sur un document. Or, chacun sait qu'on ne fait pas la cuisine dans sa salle de bain. Pour développer des pratiques collaboratives de manière efficace, ils faut des espaces et des outils adaptés.
Il faut noter que le développement des pratiques collaboratives est largement souhaité par les salariés.
D'après une étude sur "L'entreprise du futur" de Future Fundation, 57% des salariés sont en demande de plus de pratiques collaboratives et 59% préfèrent travailler en équipe plutôt que seul.Tous les acteurs semblent donc d'accord pour s'engager vers une organisation du travail plus transversale et collaborative. Reste à trouver la bonne méthode pour la déployer efficacement.
La méthode nudge aiderait à modifier les changements comportementaux qui sont au cœur de la problématique. Cette méthode est déjà mise en place dans des entreprises comme Google qui propose à ses salariés de consacrer une journée entière par semaine à travailler sur des projets de leur choix. Le fait que le sujet ne soit pas imposé par la direction laisse une vraie liberté aux salariés d'engager des collaborations imprévues et souvent fertiles. Plus modestement, certaines entreprises proposent à leurs salariés de laisser la porte de leur bureau ouverte au moins une journée par semaine. Par ce moyen simple, les collaborateurs se croisent plus facilement et engagent des discussions qui peuvent éventuellement déboucher sur de bonnes idées.
L'incitation douce à changer les comportements est fondamentale. Les outils collaboratifs le sont tout autant. De nombreuses entreprises se trompent à la fois d'outils et de méthode en imposant des solutions globales qui bousculent les collaborateurs dans leur manière de travailler. De ce point de vue, les projets d'intégration de la solution Sharepoint sont souvent l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire. De nombreuses entreprises ont fait part de leurs difficultés à faire adhérer leurs collaborateurs à cet outil complexe qui pourtant avait été annoncé comme le grand virage collaboratif. Favoriser la méthode incitative passe par la mise à disposition d'outils collaboratifs simples, déconnectés des processus métiers et dont l'usage est volontaire. L'usage de ses espaces numériques de travail doit être valorisé de manière à inciter les collaborateurs à en faire usage dans le cadre professionnel.
Par exemple, mettre en place dans un espace commun un compteur digital indiquant le nombre de salariés ayant déjà fait utilisé ces nouveaux outils collaboratifs est un nudge dont les effets seront positifs sur le développement des usages collaboratifs.
Inspirer la bonne décision par des méthodes douces est une méthode originale, facile à mettre en oeuvre, économe et efficace pour accompagner la transformation des organisations. Combinée avec des outils collaboratifs accessibles aux utilisateurs, cette méthode peut réconcilier bien être au travail des salariés et performance de l'organisation dans le contexte actuel de basculement vers le tout numérique.
Thomas Balladur - CEO interStis